iPad Air 2 : la ruse d’Apple pour court-circuiter les opérateurs télécoms
La nouvelle tablette est livrée avec une carte SIM qui permettra au consommateur de mettre en concurrence plusieurs opérateurs américains et britanniques.
Avec Apple, le diable se cache dans les détails. Durant une bonne heure jeudi, le groupe californien a égrené les avancées de sa dernière génération d’iPad en passant une fonction sous silence. Désormais, les iPad Wi-Fi et 4G seront livrés d’office avec une carte SIM Apple, capable de se connecter sur les réseaux de différents opérateurs mobiles, aux États-Unis et en Grande-Bretagne.
Cette annonce est une bombe. «Elle a le potentiel de changer fondamentalement la relation entre les opérateurs mobiles et leurs clients», explique Ian Fogg, analyste chez IHS Technology. Jusqu’alors, les utilisateurs d’une tablette qui souhaitaient naviguer sur Internet hors des réseaux Wi-Fi devaient choisir un abonnement auprès d’un opérateur et lui commander une carte SIM. Une formalité désormais inutile. Le forfait s’active en quelques secondes et sans engagement.
Capter la valeur ajoutée
Pour les opérateurs, le risque est flagrant. «Ce que tente Apple, c’est de lancer la phase ultime de la désintermédiation des opérateurs télécoms», souligne Tariq Ashraf, analyste chez BearingPoint. Avec sa carte SIM, Apple peut renvoyer les opérateurs au rang de simples pourvoyeurs de réseau. Les enjeux sont colossaux. C’est à celui qui maîtrisera le mieux la relation avec les clients que reviendra, à terme, la valeur ajoutée provenant de toutes les prestations de service. «Dans la plupart des pays, les clients valorisent le réseau et la marque des opérateurs», ajoute Tariq Ashraf.
Apple détient déjà le numéro de carte bancaire de plus de 800 millions de clients. S’il détient dans le futur leur carte SIM, son pouvoir en sera encore renforcé. «La marque pourrait gérer tous les paiements, contrôler la connexion aux réseaux télécoms, via l’identifiant Apple et sa SIM. Apple construirait brique après brique un formidable écosystème et enclencherait un cercle vertueux, pour son propre profit», analyse-t-il.
Cela fait quatre ans qu’Apple travaille sur une carte SIM universelle. En 2011, il a même déposé une demande de brevet pour aller encore plus loin, en se passant complètement de puce. Les opérateurs télécoms avaient réussi à le freiner. Apple a appris la leçon et lance sa carte SIM avec prudence. Trois opérateurs sont pour l’instant concernés aux États-Unis (AT & T, Sprint et T-Mobile), un autre au Royaume-Uni (EE, coentreprise de Deutsche Telekom et d’Orange), avec des forfaits réservés aux données.
Bientôt dans les iPhone?
Les opérateurs français n’ont pas souhaité se prononcer sur leurs plans, mais ils sont attentifs aux modalités de ces partenariats. Pour le moment, rien n’a filtré des détails et de nombreuses interrogations subsistent. Autant de points clés, alors que dans certains pays, dont les États-Unis, Apple dispose d’un réseau de distribution assez large pour se passer de celui des opérateurs, en France «il risquerait de se priver des subventions généreuses que les opérateurs octroient aux acheteurs d’iPhone et de voir ses ventes de terminaux chuter», mentionne un spécialiste.
Les analystes s’attendent à voir l’Apple SIM arriver un jour dans l’iPhone, ce qui «aura un impact considérable sur le modèle économique des opérateurs mobiles», juge Ian Fogg. Rappelons qu’Apple a vendu 150 millions d’iPhone l’an dernier. Si Apple en arrivait à ce stade, il obtiendrait la revanche des fabricants électroniques sur les opérateurs télécoms. Au faîte de sa gloire, Nokia avait tenté au début des années 2000 de lancer un portail Internet pour accéder directement au consommateur et briser le lien unissant les opérateurs à leurs clients. Google avait aussi envisagé de vendre lui-même des forfaits pour lancer son premier smartphone, le Nexus, avant de se raviser.
À court terme, les opérateurs peuvent espérer que la carte SIM d’Apple augmente le nombre d’abonnements à des forfaits sur l’iPad, encore minoritaires. Il y a toutefois un dernier risque: en détenant la carte SIM, Apple les mettra encore plus en concurrence et cela devrait inciter à une baisse des prix. D’ailleurs, John Legere, l’iconoclaste patron de T-Mobile (numéro quatre américain), s’est réjoui de cette annonce dans un tweet: «C’est une bonne nouvelle pour tous les consommateurs et les plus intelligents choisiront notre réseau.»