Avec Inbox, Google fait de l’or avec notre mémoire

octobre 28, 2014
admin

Dans sa nouvelle application de messagerie, Google recommande d’archiver des messages, plutôt que les supprimer. Un signe de son obsession à vouloir conserver toute la mémoire du Web.

Les millions de dollars engagés dans la recherche pour des voitures qui se conduisent toutes seules ou dans des lunettes futuristes font parfois perdre de vue la nature de Google. Le géant américain du Web a beau se projeter sans cesse vers le futur, il repose avant tout sur le passé.

Inbox, la nouvelle application de messagerie de Google sortie la semaine dernière, est l’une des meilleures illustrations récentes de cette dépendance. Cette «boîte de réception d’un genre nouveau» incarne l’avenir de la messagerie électronique, dit Google. Elle est capable de mettre en lumière les messages importants et de «s’adapter à votre façon de travailler», grâce à des algorithmes qui apprennent des conversations passées.

Pour réaliser cette prouesse et savoir ce qui est le plus pertinent aujourd’hui, Google a besoin d’exploiter l’historique le plus complet possible des messages. Il a pris, pour cela, une décision radicale: dans Inbox, le bouton de suppression des messages a été escamoté. Cette option, pourtant l’une des plus communes de tout bon logiciel de messagerie, se retrouve confinée dans un menu déroulant.

Google ne manquait pas de place pour loger ce bouton de suppression. Lorsqu’on l’interroge sur cette bizarrerie, il répond qu’il n’est plus nécessaire d’effacer de messages, puisqu’il propose une capacité de stockage considérable (plus de 15 Go, à ce jour). Google recommande plutôt de «Balayer» les messages (ce qui équivaut à les archiver, sans les supprimer). Autrement dit, mettre la poussière sous le tapis.

Google veut deviner ce que l’on va chercher

Google se nourrit de cette poussière du Web. La puissance du moteur de recherche repose sur sa connaissance du plus grand nombre d’informations et de signaux, dont il évalue la pertinence. Il a commencé à la fin des années 1990 en indexant les textes et les photos des sites Internet au monde. Il a acquis YouTube pour étendre son savoir à la vidéo. Il s’est lancé dans la numérisation des grandes bibliothèques pour consolider ses connaissances. Il a parcouru des millions de kilomètres pour photographier les rues avec Street View. Il a cherché en parallèle à mieux connaître ses internautes en archivant les mots-clés cherchés, en lançant la messagerie Gmail et le réseau social Google+.

Google dispose aujourd’hui de millions de serveurs informatiques pour stocker ces données. Sa gigantesque mémoire du Web lui permet de concevoir des services innovants, que ses concurrents peuvent difficilement égaler. Avant Inbox, il proposait déjà Google Now. Cet outil, disponible sur Android, iOS et PC, mouline les informations dont Google dispose sur un utilisateur pour afficher la liste de ses prochains rendez-vous, des vols qu’il a réservés, des restaurants qu’il aimera.

Google veut aller plus loin. Son président Eric Schmidt a dit que l’objectif du moteur était de donner une réponse aux questions avant même qu’elles soient formulées. En attendant les avancées en matière d’intelligence artificielle, sur laquelle il investit lourdement, ce projet d’entreprise le conduit à s’opposer ou à retarder toute entreprise qui pourrait lui faire perdre la mémoire. Combien d’internautes savent qu’il est possible de désactiver l’historique de ses recherches Google et YouTube? (c’est ici). Il a fallu aussi une décision de la justice européenne pour que le moteur mette en place un droit au déréférencement.

En limitant la suppression des messages dans Inbox, Google pourra retrouver des vieilles factures d’e-commerce qui le renseigneront sur nos goûts, des réservations de voyagistes qui l’éclaireront sur nos destinations préférées, des ajouts sur des réseaux sociaux qui lui en diront plus sur nos amis. Ces vieilles informations à première vue dénuées d’intérêt, que l’on aurait généralement supprimées, alimenteront des services innovants, mais aussi le ciblage des internautes à des fins publicitaires. Pour Google et ses annonceurs, cette poussière vaut de l’or.