«Un contrôle centralisé d’Internet serait un désastre»

septembre 23, 2014
admin

Fadi Chehadé,le president de l’Icann.

INTERVIEW EXCLUSIVE – Les États-Unis s’apprêtent à abandonner leur tutelle sur l’Icann, la société américaine qui gère le système des noms de domaine sur Internet. À cette occasion, Le Figaro a rencontré son président, Fadi Chehadé.

L’Icann est la société américaine qui gère le système des noms de domaine sur Internet. Implantée en Californie, près de Los Angeles, elle est à l’origine de l’ouverture de centaines de nouvelles extensions comme le «.paris», le «.buy» mais aussi le «.vin», contesté par la France, l’Italie et de nombreux autres pays grands producteurs de vins. Sous la tutelle du gouvernement américain, l’Icann se prépare à gagner son indépendance en septembre 2015 et a ouvert plusieurs consultations pour préparer son futur. Le Figaro a rencontré son président, Fadi Chehadé, en marge d’une conférence qui se tenait à l’université Aix-Marseille.

LE FIGARO. – La France s’oppose aux nouvelles adresses Internet en «.vin» et demande le respect des indications géographiques protégées (IGP). Pourquoi ne gelez-vous pas leur attribution?

FADI CHEHADÉ. – Un membre de notre conseil d’administration a offert à la France de réserver le «. vin», mais cette dernière nous a répondu que ce n’était pas nécessaire. Aux États-Unis, un entrepreneur intelligent, Donuts, a déposé un dossier et obtenu ces adresses. Dès lors, pour geler la procédure, il fallait que la France obtienne un consensus auprès des autres gouvernements sur ce sujet, comme des pays l’ont fait pour le «. amazon». Elle n’a pas su le faire. Il y a un blocage entre l’Europe et les États-Unis sur les IGP. Une issue peut encore être trouvée entre les producteurs français de vins et Donuts. Nous les avons invités à se rencontrer et à se parler. Il est dans l’intérêt de Donuts de collaborer avec les producteurs de ces appellations.

 

Axelle Lemaire, secrétaire d’État au Numérique, a menacé de quitter l’instance de l’Icannoù siègent les États…

J’ai beaucoup de sympathie pour Axelle Lemaire, mais elle était nouvelle quand elle s’est exprimée pour la première fois sur le sujet et n’avait pas encore une vision complète du dossier. Ce dossier du «. vin» a été récupéré politiquement. De fait, il aurait mieux valu parvenir à un consensus avant même sa prise de fonction. La France a toujours été un bon partenaire de l’Icann, sa voix compte. J’espère que le gouvernement actuel n’y changera rien. La position adoptée par la France n’est pas la bonne. Les Allemands ou les Anglais ne sont pas sur la même ligne.

«La France a toujours été un bon partenaire de l’Icann, sa voix compte. J’espère que le gouvernement actuel n’y changera rien.»

Fadhi Chehadé, président de l’Icann.

Dans un an, les États-Unis devraient perdre leur tutelle sur l’Icann. Comment affirmer votre indépendance?

Nous avons ouvert deux consultations pour créer un nouveau mode de gouvernance d’Internet. La première pour savoir ce qui se passera techniquement quand la validation des États-Unis ne sera plus nécessaire avant de mettre des nouvelles extensions dans la racine d’Internet. L’objet de la seconde consultation, et le point clé pour l’avenir, sera de savoir auprès de qui l’Icann devra rendre des comptes in fine. S’il y a une décision que la communauté n’accepte pas, il doit y avoir un moyen de revenir dessus. Je suis d’accord avec ceux qui disent que nous ne pouvons pas être toujours irréprochables. Nous invitons des experts, des sociétés et des gouvernements à nous éclairer sur la question. Pour que ce processus soit accepté, nous avons dû nous mettre à l’écart. C’est à la communauté de décider.

«Nous sommes au centre de l’attention, car l’Icann est une organisation qui fonctionne parfaitement depuis dix-sept ans»

Fadi Chehadé, président de l’Icann.

Si vous réussissez cette transition, l’Icann a-t-il vocation à devenir le régulateur mondial d’Internet?

Cela n’arrivera jamais. Il ne faut pas un régulateur unique mais des régulateurs par sujets. L’Icann s’occupe des noms de domaine. Il faudra créer d’autres Icann sur des sujets qui vont au-delà de ce dont nous nous occupons. Par exemple, il faut un autre régulateur pour la protection des enfants sur Internet, et d’autres sur la fiscalité et la

taxation du numérique entre les États. Ce sont des nouvelles questions qui commencent à avoir des retombées politiques et ne relèvent pas de l’Icann. Cela ne relève pas de l’Icann. Nous n’avons rien à y faire. C’est au forum NETmundial, dont la première réunion s’est tenue au Brésil en avril, de se pencher sur ces sujets. Nous sommes au centre de l’attention, car l’Icann est une organisation qui fonctionne. Il n’y a peu de sociétés ou d’organisations qui travaillent comme nous, de façon si transparente. Nous ne travaillons pas pour un secteur ou un pays, mais pour Internet.

Quelle sera la place des États dans cette nouvelle gouvernance d’Internet?

Les politiciens veulent mettre de la politique partout. Ils doivent avoir un rôle, mais rester des partenaires. Les États-Unis ont posé comme condition de leur désengagement que l’ONU ne devait pas reprendre le travail de l’Icann. Un modèle avec des décisions centralisées et reposant uniquement sur les gouvernements serait un désastre pour Internet. Il serait dommage de changer un système qui fonctionne depuis dix-sept ans parce que des gouvernements n’ont pas eu la décision qu’ils souhaitaient.

En France, l’Assemblée nationale vient d’adopter un blocage des sites Internet faisant de la propagande terroriste. Que vous inspire cette mesure?

Plusieurs pays ont adopté des blocages de sites Internet. Je crois qu’il faut qu’il y ait un moyen de coordonner ces décisions pour qu’elles ne deviennent pas dangereuses. Je n’ai pas peur dans le cas de la France, mais pour d’autres pays. Il faut qu’il y ait un cadre pour le blocage des sites. C’est un sujet compliqué, et une des raisons pour lesquelles on a besoin d’initiatives comme NETmundial. Des décisions qui sont prises aujourd’hui, après six mois de débat, peuvent être caduques rapidement car la technologie peut changer en une journée.