Google se débat avec le droit à l’oubli en Europe
VIDÉO – Le moteur de recherche a reçu plus de 135.000 demandes en quatre mois et a déjà répondu favorablement à plus de la moitié des liens soumis à l’effacement.
Quatre mois après la première vague de retraits de résultats dans son moteur de recherche, Google tient à raviver le débat sur le droit à l’oubli. Il organise à Paris ce jeudi une discussion entre des experts d’Internet, des juristes, des universitaires et des médias pour tirer un premier bilan de cette procédure. Des réunions similaires se sont déjà tenues à Madrid et à Rome en septembre.
Crainte de censure
L’arrêt de la Cour de justice européenne, rendu le 13 mai, a chamboulé l’équilibre entre Google et les internautes. Pour la première fois, la justice a reconnu que l’américain était responsable du traitement des données à caractère personnel. Les particuliers peuvent obtenir, sous certaines conditions, la suppression de liens vers des pages Internet comportant des informations «inappropriées, hors de propos ou qui n’apparaissent plus pertinentes».
Google s’est plié malgré lui à cette décision. Il a mis en ligne un formulaire permettant aux internautes d’exercer leur droit à l’oubli. Cette opportunité a séduit de nombreux citoyens européens: Google avait reçu plus de 135.000 demandes mi-septembre, concernant plus de 470.000 liens.
Malgré sa rapidité de réaction, Google n’a jamais caché son opinion sur cet arrêt. Dans une tribune publiée dans Le Figaro, David Drummond a exprimé son «désaccord». Ces critiques ont été appuyées par des personnalités du Web, comme Jimmy Wales, cofondateur de Wikipédia etmembre du comité d’experts de Google, qui redoute une «censure de l’information véridique». Des médias prestigieux, tels que la BBC et le Guardian, ont aussi dénoncé les effets pervers du droit à l’oubli pour le travail journalistique. Le comité d’experts mis en place par Google rendra un rapport sur le droit à l’oubli en janvier.
Un exercice délicat
Google n’a pas obligation d’accéder à toutes les demandes de retrait. De fait, il ne retire qu’un peu plus de la moitié des liens qui lui sont soumis. Les refus les plus fréquents concernent des professionnels qui demandent le retrait d’informations concernant leurs activités. Le moteur de recherche refuse aussi la désindexation de pages créées par les internautes eux-mêmes. L’arrêt de la Cour de justice établit par ailleurs plusieurs autres limites, notamment lorsque les requêtes proviennent de personnalités publiques.
Entraîné dans un exercice délicat, Google déplore que le droit à l’oubli le conduise à exercer une forme de justice privée, qui représente pour lui «une tâche considérable». La semaine dernière, les différentes instances européennes de protection de la vie privée se sont réunies pour établir une liste de critères qui pourront aider les moteurs de recherche à motiver leurs refus. «Il y a différentes sensibilités en fonction des pays, par exemple sur la notion de personnage public. On veut que les critères soient clairs», explique Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la Cnil en France. Un référent pour les questions de droit à l’oubli doit aussi être nommé au sein de chaque autorité.
La Cnil, qui assistera à la réunion organisée par Google en tant qu’observateur, souhaite pour l’instant dépassionner le débat. «Google dramatise la situation. Il fait preuve d’une grande habileté pour entretenir la confusion et discréditer ce droit à l’oubli, affirme Isabelle Falque-Pierrotin. Le droit au déréférencement est un sujet complexe, mais il y a moyen de se positionner sans ouvrir de front sur les menaces de censure.»